Il ne me reste pas très longtemps à vivre, et je crois bien que voici venu le temps de raconter ce qui s’est passé dans mon enfance et adolescence.

Je commence par mon père.

J’étais un enfant battu. Il m’a fallu beaucoup de temps pour utiliser ce terme, en fait ce n’est qu’à l’âge de 40 ans que j’ai réalisé que ce n’était pas une exagération. Non, il ne s’agissait pas d’une éducation “à la dure”, il s’agissait de coups et punitions sans raison et d’épisodes psychotiques.

La famille de ma mère le savait. Après la séparation de mes parents quand j’avais 10 ans, ma tante Lisette m’a dit “ru as l’air bien, maintenant. Avant tu avais l’air d’un enfant battu. Tu sais, souvent les pères font ça parce que leurs parents faisait pareil”. Et moi, même avec ma petite tête d’enfant, je me disais que ce n’était pas une raison. Mais ça a sans doute contribué au fait que je n’ai pas d’enfant moi-même, comme si répéter la violence était inévitable. Ce n’est qu’à 40 ans que je réaliserai que non, ce n’est pas une fatalité, ce n’est pas parce qu’on a eu des parents débiles qu’on sera soi-même un parent débile.

Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de ces épisodes, Ils s’entremêlent tous en un seul souvenir où je suis dans mon lit, je pleure, je reçois des coups sans raison, j’ai très mal. Un souvenir est très clair : durant un de ces épisodes, ma mère est dans la cuisine et dit à mon père : tu n’es pas obligé de le battre. Mon père lui répond je ne le bats pas, je l’éduque.

Je me souviens aussi très bien de la dernière fois. J’avais 11 ans, en visite dans la famille de mon père avec sa nouvelle compagne, Jacinthe. Nous étions tous à table et j’ai reçu, sans avertissement, un coup derrière la tête et mon père me dit de monter dans ma chambre. Puis il vient me voir pour me dire de descendre et pour la première fois, je lui demande de s’expliquer. Qu’est-ce que j’ai fait. Il me répond ‘tu sais très bien ce que tu as fait”. Je réponds non. je ne sais pas. Dis-le. Il n’a rien dit, car il n’y avait pas de raison. J’étais en colère et prêt à me battre, il l’a vu, et n’a plus jamais tenté de me donner des coups. Ce jour-là j’ai réalisé la lâcheté et la perversion de mon “père”.

Un élément récurrent de mes premiers souvenirs est d’être dans mon lit avec un mal de ventre. Ce n’est que plus tard, à l’âge de 18 ans, dans mon premier appartement, que je passerai toute une journée sans manger et que je réaliserai que ce mal de ventre était dû à la faim. Car pour “m’éduquer”, le truc préféré de mes parents était de m’envoyer dans ma chambre sans manger.

Noël n’était pas un bon moment pour moi. Mes parents me faisaient bien comprendre qu’ils étaient obligés de le faire pour préserver les apparences. Je me souviens en particulier de deux noëls où j’ai commencé à réaliser que mes parents n’étaient pas normaux.

Le premier , je devais avoir 5 ou 6 ans, et nous étions chez ma grand-mère maternelle. Une très grande famille, avec d’autres jeunes enfants, mais ce Noël, j’étais le seul enfant. La tradition était de coucher les enfants, et les réveiller à minuit pour l’ouverture des cadeaux. Mais ce Noël, je me suis réveillé le lendemain matin. Ma mère m’a dit qu’ils avaient oublié de me réveiller. Ce n’était pas tant d’avoir manqué noël, mais “l’oubli” que j’existais qui m’a marqué. Peut-être plus encore que les coups.

Le second Noël “mémorable”, je devais avoir 7 ou 8 ans, et là tout d’un coup j’avais eu un beau cadeau : un train électrique et circuit. Ainsi qu’un puzzle assez complexe. A cette époque mon père ne travaillait pas et restait à la maison. J’étais très étonné de ce cadeau et de ce Noël presque “normal”, mais il n’a pas fallu longtemps pour déchanter. Quelques jours après, mon père avait monté le circuit et s’amusait avec le train, et assemblait le puzzle pour passer le temps. Par mégarde j’ai fait un faux-pas et me suis pris les pieds dans le puzzle. Mon père m’a fait demeurer toute la journée dans ma chambre sans manger. Quand je me suis réveillé le lendemain (toujours sans avoir mangé) le train était démonté, mon père m”a dit que j’avais fait exprès de démonter “son” puzzle, et que je n’étais pas assez grand pour avoir droit à un train. Que je n’avais jamais demandé, d’ailleurs, je m’en foutais un peu de ce train.

Il y a quelques années, je repensais à la violence physique et j’ai réalisé que je ne savais pas quand ça avait commencé. J’avais une “intuition”, ou une mémoire du corps, que cela avait commencé très tôt. Dans un des derniers échanges que j’ai eu avec ma mère, par mail, elle m’a dit que lorsque j’avais 18 mois, lors d’une “correction” – euphémisme qu’elle aime bien utiliser – mon père a perdu la boule et elle pensait qu’il était devenu fou. Cela s’était passé dans le bain. Ça correspondait à mon intuition, pas tant un souvenir car c’était trop tôt pour devenir un souvenir, mais une certaine tristesse générale, mutisme et méfiance envers les gens. Et aussi une phobie des bains… Alors à Jacinthe qui m’a dit plus tard que ma famille me trouvait “bizarre”, et à tous les membres de la famille de mon père qui savaient ce qui se passait, qui non seulement n’ont rien fait mais en ont rajouté avec leur mépris, je vous dis FUCK OFF pauvres merdes. Les autres je ne sais pas ce qu’ils pensaient, à la base surtout de l’indifférence. Le seul membre de la famille Vaudor qui a été bien avec moi est Jean-Louis, c’est d’ailleurs grâce à lui que je ne suis pas devenu psychopathe. Du côté maternel, le seul qui a été bien avec moi est mon oncle Dan. Je vous dis merci à tous les deux.

Ah oui tient, un autre souvenir qui m’est revenu il y a quelques années, après avoir reçu un résultat de test sanguin qui montrait des traces d’une grosse varicelle infantile. J’avais donc attrapé la varicelle juste avant les vacances, où nous partions pour la France dans la famille de mon père. Il est bien entendu interdit de prendre l’avion avec une varicelle. Mes parents ont décidé que nous allions partir prendre l’avion quand même, ma mère m’avait maquillé le visage pour que ça ne paraisse pas, et m’avait préparé à mentir si on me posait des questions. Dans le même test sanguin a aussi été révélé que j’avais fait une mononucléose, qui n’a jamais été traitée ou même remarquée, mais ça ce n’est pas très étonnant.

Je vais passer maintenant à ma mère, et c’est bien pire.

Je n’ai pas vraiment de souvenir de maltraitance explicite de ma mère durant l’enfance. A part l’indifférence, la froideur et l’absence d’interaction, dont je réaliserai l’anormalité seulement beaucoup plus tard, quand mes amis commenceront à avoir eux-mêmes des enfants. Je regarderai mes amis interagir avec leurs enfants, et je penserai mais moi, ce n’était pas comme ça… j’ai passé mon enfance seul, à jouer tout seul dans mon coin, dans une totale indifférence. Dans toutes les photos, ma mère est toujours loin de moi. Même mon père me prend la main sur quelques photos, mais ma mère, rien. Plus tard je demanderai à ma mère mais c’était quoi votre problème en tant que parent, au juste, et elle m’avouera qu’après m’avoir eu, ils ont réalisé qu’ils n’étaient pas d’accord sur la façon d’être parent. Ils voulaient avoir deux enfants, ils ont changé d’idée et j’ai été laissé tout seul, une erreur et un boulet quoi.Mais bon, ce genre de situation n’est pas très rare, s’il ne s’agissait que de ça, je m’en serais remis.

C’est quand mes parents ont divorcé et que je me suis retrouvé seul avec ma mère que l’abus psychologique incestueux et la négligence a commencé

Cela a commencé à l’âge de 11 ans, juste après le divorce. Cela a commencé avec ma mère qui est entrée dans ma chambre, maquillée, avec quelque chose d’étrange dans le regard. Elle m’a dit “on va au cinéma. Ce soir, c’est toi mon amoureux”. J’ai ressenti une profonde répulsion, dégoût, je n’ai pas vraiment de mots à mettre sur ma réaction, et j’ai dit non. Elle s’est mis dans une colère psychotique, gesticulant, le visage crispé et tout rouge, j’ai fermé la porte de ma chambre et je l’empêchais d’entrer.

Par la suite ça a été des années de crises qui durait des heures où elle me disait “vous les Vaudor, vous êtes tous pareils”, “t’es un loser”, “pourquoi est-ce que je n’ai pas un fils normal”, ‘tu as un problème mental comme ton père”, etc etc. Je l’évitais et passais le moins de temps possible à la maison. Je passais mon temps dans la rue où je suis plus ou moins tombé dans la petite délinquance. En plein hiver, j’attendais dans la rue devant la maison, que les lumières s’éteignent afin que je puisse rentrer me coucher en toute sécurité. Il n’y avait littéralement plus rien à manger à la maison, et oui, à 11 ans, je fouillais dans les poubelles pour trouver à manger. Je ramassais des bouteilles vides pour pouvoir acheter à manger. Je commençais déjà à rêver au jour où je pourrais sortir de cet enfer.Et ce n’est pas que ma mère n’avait pas d’argent pour acheter à manger. Elle avait un travail, elle recevait une pension alimentaire. D’ailleurs quand plus tard (peu avant que je puisse enfin quitter la maison) elle a rencontré la personne qui deviendra son second mari, et qu’il commençait à venir à la maison, tout à coup le frigo était rempli

Elle se promenait nue dans la maison et un jour elle m’a dit “tu sais, si un jour tu regardes mes seins et que ton pénis devient tout dur, tu peux me le dire, je vais comprendre”. Un jour j’avais ramassé assez d’argent pour me payer un steak, j’avais 12 ans. Je suivais une recette (d’un “pif gadget” ! La dissonance! ) de tournedos au poivre noir, elle est venue près de moi et m’a dit ‘tu sais, le poivre noir, c’est aphrodisiaque”. Je ne savais pas ce que ça voulait dire, elle m’a expliqué et là c’en était trop. J’ai crié de me laisser tranquille en me défendant avec mes poings. Et plus tard elle a trouvé le moyen de m’en faire sentir coupable, que ce n’était pas normal de donner des coups à sa mère.

Ah oui, ajoutons à cela qu’elle a commencé à cette époque à penser que j’étais homosexuel. Et bien non, quand un fils réagit mal à la perversion incestueuse de sa mère et décide que la chose à faire est d’éviter toute interaction avec elle, ce n’est pas parce que le fils est homosexuel. Elle m’a encore fait le coup il y a quelques années, avec un mail où elle m’a écrit “je viens de voir un documentaire sur l’homosexualité, et je me suis dit que si tu as eu des difficultés avec tes relations, c’est peut-être parce que tu es homosexuel”. Je lui ai répondu qu’elle devrait voir un psychiatre, et de ne plus essayer de me contacter.

Heureusement, peu après l’épisode du steak aphrodisiaque elle s’est mise à vendre des produits Amway, et était souvent partie en conférence ou autre. Je pouvais respirer un peu. J’a commencé à travailler dans une épicerie le samedi matin pour décharger les camions de livraison, au noir, à 12 ans, et je pouvais manger. Mais quand elle était là, ce n’était que crises de colère, mépris et humiliations. Un jour elle est entrée dans ma chambre, en état psychotique, m’a montré une trace de shampoing dans la douche et m’a dit “c’est quoi ça, du sperme?”. A ce moment j’ai décidé d’installer un loquet sur la porte de ma chambre. Je comptais les années avant de pouvoir enfin sortir de là. Mais devant les autres, elle arrivait encore à m’humilier en disant que c’était moi le problème. Et qu’est-ce que je pouvais dire ? Qui m’aurait cru ? Même avec mes amis, comment aborder le sujet sans honte ? Aujourd’hui, je me dis que j’aurais dû enregistrer ma mère. J’ai passé ma vie à penser qu’il n’y avait pas de solutions, et ce n’est qu’il y a quelques mois que j’ai réalisé que j’aurais pu l’enregistrer. Mais à l’époque, je ne savais pas qu’on pouvait demander de l’aide, ou à qui. Ceci étant dit, il y a eu des témoins.

Tout d’abord, mes amis pouvaient bien voir qu’il n’y avait rien à manger chez moi. Je me souviens que le père d’un de mes amis trouvait que je mangeais souvent chez eux, et a demandé à mon ami pourquoi, est-ce qu’il n’y a rien à manger chez eux ? Mon ami Gilles lui a répondu la vérité, non, il n’y a rien à manger chez eux. Le père a appelé ma mère, qui m”a bien sûr fait une crise car “qu’est-ce que les gens vont penser”. A ce moment elle m’a dit que de toutes façons, la pension alimentaire que payait mon père n’était pas pour moi mais pour elle, pour rembourser l’argent qu’il lui devait pour tout le temps où il n’avait pas travaillé.

Bien entendu les choses ont été encore pires par la suite. Mais j’avais 16 ans, et bientôt je pourrais partir. A 14 ans j’avais commencé à travailler comme plongeur dans un restaurant, de nuit. Je travaillais également dans des entrepôts et comme journalier. Tout ce que ma mère trouvait à dire, c’est pourquoi mes notes baissaient à l’école, j’étais un loser, un indolent etc etc. .Quand elle a dit à mon père que je travaillais, ce dernier a eu la merveilleuse idée que puisque je travaillais, il serait temps que je paie une pension à ma mère. Quel connard. Mais j’ai eu la bonne idée de lui dire que plutôt que payer une pension, je voulais payer ma bouffe. Ce que je faisais déjà, mais ça il ne le savait pas. Du coup ça n’a rien changé pour ma mère, et elle ne pouvait pas lui dire que je payais ma bouffe depuis des années, donc voilà. Ma première victoire face à mes parents quoi.

La dernière fois que ma mère m’a fait un plan incestueux psychotique, j’avais 16 ans, peu après l’épisode du père de Gilles qui l’avait appelé. Ma mère est rentrée à la maison, dans cet étât que je connaissais bien, tension extrême, le visage tout rouge et yeux exorbités, et m’a dit que les voisins venaient de lui dire qu’ils m’avaient vu me masturber sur le gazon devant la maison ! C’était la première fois qu’elle impliquait d’autres personnes dans ses fantasmes malsains, Et là, c’était enfin l’occasion de l’exposer. Je lui ai répondu allons les voir. Je veux entendre ce qu’ils ont à dire. Bien sûr elle ne s’attendait pas à cette réponse et m’a dit “non, c’est bon… si tu me dis que ce n’est pas arrivé, je te crois…” J’ai insisté mais bien entendu, rien à faire. Je lui ai demandé quels voisins, au juste, et elle ne voulait pas le dire.

Le lendemain mon ami François était à la maison, je lui ai raconté l’affaire, et lui aussi a dit à ma mère mais c’est quoi ce truc, allons voir ces voisins. Ma mère était coincée et n’a rien répondu.

Peu après j’ai rencontré ma première copine Marie-Louise, et bien entendu ma mère était jalouse. Un jour de Noël (encore), ma copine est passée à la maison, au matin. Nous mangions des céréales et ma mère était dans la cuisine, et a commencé à m’humilier et me rabaisser devant ma copine. Là j’ai eu une réaction viscérale et lui ai lancé mon bol de céréales. Elle a appelé la police qui m’a embarqué et mis en cellule. Le jour de noël. Mon père est venu me chercher, je lui ai répété ce que ma mère m’avait dit, et étonnamment il n’était pas en colère contre moi.Il est resté silencieux, m’a reconduit chez ma mère, ils n’ont rien dit, et puis voilà. La soeur de ma copine avait appelé ma mère pendant que j’étais en cellule, la traitant de malade mentale, et ma mère a rapidement balayé toute l’histoire sous le tapis, car c’était la première fois qu’une tierce personne assistait à sa maltraitance. Pour la première fois, j’avais un témoin en direct.

Après être sorti de cet enfer il m’a fallu du temps pour réellement m’en remettre. Peut-on se remettre complètement d’une telle torture (un mot utilisé par une psychologue à qui j’ai tout raconté, à l’époque je trouvais que le mot était exagéré, maintenant non, je vois les choses comme elles sont, sans auto-apitoiement). Ce qui est certain c’est que j’ai passé 3 ou 4 ans dans un mutisme presque total, impossible de nouer des relations normales. Puis mon père est mort quand j’avais 21 ans, et je me suis senti libéré. A moitié libéré, disons. Ce qui est bizarre, c’est que j’ai continué à voir ma mère de temps à autre. Parce que c’est ce qu’il faut faire, je pense. Genre je fais comme si tout était normal. Mes amis savaient que j’ai eu une enfance difficile, qu’il y a eu de la violence, mais ne connaissaient pas les détails.

Quand j’avais environ 25 ans, avec une copine.je suis allé voir ma mère, qui habitait maintenant à la campagne; Je n’avais pas discuté de tout ça avec cette copine, en tout cas pas les détails. A un moment on faisait du ski de fond tous les trois, autour de sa maison. Il y avait une petite pente à descendre, elles m’attendaient toutes les deux au bas de la pente, et ma mère a dit à l’oreille de ma copine; “je suis sure qu’il va tomber”. Ma copine a pensé, elle n’a pas le droit de dire ça. Et plus tard ma copine m’a demandé : “pourquoi vois-tu encore cette personne?”.

Ça m’a bien fait réfléchir. Si ma copine Angèle, si douce et bienveillante, pouvait dire ça juste à cause de cette petite anecdote qui n’était rien du tout par rapport à ce qui s’est passé avant… pourquoi, effectivement, est-ce que je voyais encore cette personne ?

Maintenant j’ai coupé tout contact avec “cette personne”.. Je suis en situation de handicap. Je me retrouverai bientôt sans le sou et j’en finirai avant de me retrouver à la rue pour les quelques années, au mieux, qui me restent à vivre de toutes façons. Et j’ai décidé de tout balancer, car dans toute cette histoire, la plus grande injustice est que cette personne puisse continuer sa vie comme si rien n’était, continuer à jouer la victime car son fils ne la contacte pas. Tandis que j’ai toujours gardé le silence. Quant à mon père Il a déjà eu son karma, je regrette seulement de ne pas avoir eu l’occasion de lui casser la gueule avant qu’il crève. Et pour le reste de la famille qui a fermé les yeux (sauf Jean-Louis et Dan ), je vous emmerde. Honte à vous.